2500 kilomètres à travers l’Himalaya : road trip photo au Ladakh
PS : vu que je suis plus doué à faire des photos qu’à écrire, je souhaitais initialement juste publier les 40 panoramas fait de mon iPhone pendant le voyage, pour que mes proches puissent avoir une idée du road trip et des paysages rencontrés. Mais finalement il fallait un texte pour accompagner les images, un contexte pour les expliquer. C’est chose faite, et je vous encourage à passer plus de temps sur les photos que les paragraphes. Vous pouvez cliquer sur chaque panorama pour le visualiser en plein écran. Bonne visite !
En juin 2017 nous sommes partis faire de la photographie au Ladakh. Cette région montagneuse du Nord de l'Inde appartient au Massif de l'Himalaya. D'octobre à fin mai, les grandes vallées du Ladakh sont coupées du monde, les cols étant enneigés. Les Ladakhis vivent isolés, vivant du tourisme et de l'agriculture l'été. Le roadtrip en motos indiennes Royal Enfield étant très populaire dans la région, nous nous sommes lancés dans l'aventure, histoire de ramener des tonnes de photos et vidéos de ces paysages à couper le souffle.
Notre périple commence à Manali, capitale de l'Himachal Pradesh et station hivernale très réputée. Après 17 longues heures de bus depuis Delhi, nous nous installons dans Old Manali, et louons des motos. Il s'agit de Royal Enfield, modèle Classic 350cc de 2014 et 2015 (première grosse erreur). Notre première étape est de rejoindre Leh par la terrifiante Manali-Leh Highway, qui traverse le massif sur 490km au milieu de pics de 7000m d'altitude.
Le lendemain nous attaquons le premier col, le Rohtang Pass (4000m). Nous sommes face à un énorme bouchon sur la route avant d'arriver au col, ce qui nous fait nous faufiler entre véhicules de l'armée, 4x4 de touristes et camions. Après 4h sous la pluie, quelques chutes et autres frayeurs, nous atteignons le col. La plupart des touristes indiens viennent ici à la journée pour jouer avec la neige sur les quelques névés parsemant les abords de la route.
Quand nous redescendons de l'autre côté, ça se complique. La route trouée fait place à de la piste en terre, avec boue et flaques d'eau. Heureusement, à partir de là, les véhicules se feront rares. Un peu plus loin, nous faisons le plein d'essence à la dernière station avant 365km de désert pétrolier.
Les deux jours suivant se passent sous la pluie et sont particulièrement techniques. Nous traversons de véritables rivières coulant sur la route, jusqu'à 50cm de profondeur. Les motos manquent un peu de puissance dès qu'on monte en altitude, mais le plaisir de conduite est au rendez-vous.
Les deux cols suivants se font sous le brouillard et la pluie. Plus on se rapproche du sommet plus la route est en mauvais état, d'où la délivrance en arrivant en haut des cols Baralacha (5030m) et Lachulung (5060m). Nous pénétrons enfin officiellement dans le Ladakh au camp militaire de Sarchu, qui est le premier d'une longue liste de checkpoints. Juste après, alors que les paysages commencent à passer des Alpes au grand Canyon, nous sommes bloqués à un pont en pleine réparation suite à un éboulement. Nous en profitons pour discuter avec les bikers indiens. Une vraie camaraderie se développe entre conducteurs de Royal Enfield, un vrai plaisir. La route est plus souvent offroad que 'macadamisée' par la suite, mais traverse des paysages étonnants, toujours sous une fine pluie. On se dit qu'on a bien fait de ramener K-ways, bottes imperméables et une bâche pour protéger nos affaires et surtout le matériel photo et vidéo.
En arrivant à Pang au soir du 3ème jour, les paysages deviennent secs et désertiques, presque lunaire. Nous dormons dans un campement à 4600m aidé de Diamox - le médicament pour combattre le mal de l'altitude. Note à moi-même, toujours partir avec un étudiant en médecine à l'avenir, merci Nico pour cette aide inestimable. Le lendemain est le premier jour de beau temps, nous filons vers Leh après avoir passé le col Tanglang (5328m). Sur la route nous prenons pour habitude de faire des pauses dans des Tea Houses, pour un café et toujours le même combo omelette-pain de mie et Maggi (nouilles instantanées). Les paysages sont impressionnants et nous nous arrêtons de nombreuses fois pour shooter. Sur le chemin nous croisons des canyons gigantesques, ainsi qu'une plaine digne du désert d'Atacama a 4700m d'altitude. Les motos ont énormément de mal avec le manque d'oxygène, et nous ne dépassons pas les 40km/h sur du plat. Merde, on aurait dû prendre des 500cc !
Finalement nous arrivons dans la vallée de Leh, sorte de mix entre montagnes désertiques et prairies verdoyantes, coupé çà et là par un monastère en haut d'une colline. Nous passons deux jours incroyables à visiter les monastères, faire des sessions photo de malade, jouer avec le drone ... et réparer les motos. Pas de bol, durant la Manali-Leh Highway, Nico a cassé son repose-pied et j'ai éclaté rétroviseurs et phare avant. Le premier matin l'embrayage de Nico nous lâche à Thiksey (monastère en photo en dessous). Il devra se faire remorquer jusqu'au garage Royal Enfield de Leh. Le véhicule sauveur ressemblera plus à un tracteur qu’une dépanneuse.
Nous effectuons également une révision complète et devons changer un nombre incalculable de pièces. Premier fou rire-craquage psychologique à la fin de la journée «Mais pourquoi on fait tout ça ? ».
On nous explique ensuite que vu l'état des routes dans le Ladakh, les motos sont louées 3 saisons maximum puis jetées. La mienne a 2 ans tandis que celle de Nico en a 3. Erreur numéro deux.
Pour la suite du voyage et accéder aux vallées les plus reculées du Ladakh, nous devons obtenir un permis et louer d'autres motos. Celles immatriculées Himachal Pradesh n'ayant pas de droit d'y accéder. Nous optons cette fois pour des 500cc Bullet, mais sans porte-bagages, ce qui se révèle complexe pour accrocher nos sacs.
Nous reprenons ensuite la route pour le lac Pangong, étendue d'eau bleu turquoise de 134km, à la frontière avec le Tibet. Les paysages sur le chemin sont encore une fois impressionnants, avec des dunes de sable et un col technique, le Changla Pass (5360m). Partout, des camps militaires protègent la région d'une invasion chinoise. Il y littéralement plusieurs milliers de militaires et des dizaines de tanks.
120km, quelques rivières traversées et pas mal de checkpoints plus tard, nous atteignons le lac Pangong. Les couleurs du lac et des montagnes aux alentours sont magnifiques. Ça sera le paysage qui m'a le plus impressionné du trip. Mon drone commence à montrer des signes de faiblesse, et la nacelle stabilisée se met à avoir des tremblements inexpliqués, ruinant la moitié des plans.
Après le retour et une nuit passée à Leh, nous attaquons la route carrossable la plus haute du monde pour atteindre la vallée de la Nubra.
Le col Khardung là se révèlera le plus technique du voyage, la piste étant recouverte de trous vraiment profond et traversée de cours d'eau sur des dizaines de mètres par endroit. Qu'importe, à 5602m d'altitude, on est super content de jouer avec nos Canon dans la neige, engloutir un maggi-omelette et faire un concours de pompes (que je perdrais lamentablement d'ailleurs).
Nous passons 48h dans la vallée de la Nubra pour ses dunes de sables, ses chameaux qui datent de la route de la soie, et prendre ce master shot (ci-dessous). Il y a aussi un monastère plutôt important, ou le Dalaï-Lama en personne fera un discours 24h après que nous soyons partis. On en ramène des portraits de moine et des plans de drone époustouflants.
En attaque ensuite le retour vers Leh toujours par le même col. On découvre un monastère super impressionnant perché sur une colline et dominant une vallée, qu’on n’avait pas remarqué à l'aller. Petite panique quand la moto de Nico ne veut plus démarrer au passage d'une rivière. Ouf, il ne s'agit que d'une panne d'essence, on ne comprend pas comment la moto a pu finir le réservoir en 230km. Heureusement on a toujours avec nous des bidons en rab. Au retour je me rends compte que mon fidèle objectif Canon 16-35mm a été endommagé par le transport, ce qui me laisse sans objectif grand angle pour la fin du voyage, ce qui se révèle très handicapant pour la photo de paysage. De plus, la nacelle de mon drone ne répond plus du tout, rendant impossible tout plan aérien. Sacrée hécatombe !
Après une rapide nuit à Leh, nous partons en direction de Kargil, la capitale de l'ouest du Ladakh. La route est parfaite - nous apprenons que l'armée amène la plupart des hommes et des équipements depuis le Cachemire par cet axe, et donc le refait à neuf chaque année. Nous avons repris les 350cc et ne dépassons pas les 50km/h, mais qu'importe, il fait beau et les paysages sont fantastiques (comme cette jonction entre deux rivières qui n'ont pas la même couleur, 2 photos plus bas).
Malheureusement, le câble d'accélération de la moto de Nico éclate en deux, pile entre Leh et Kargil - soit à 110km de chaque. Après beaucoup de galères incluant 30km jusqu'à un camp militaire ou personne ne parle anglais - un chauffeur de 4x4 escortant des motos nous dépanne en nous vendant la pièce. Finalement, nous arriverons à rejoindre Kargil avant la nuit, et faire une session photo coucher de soleil depuis un spot surplombant la ville.
Gros changement d'ambiance ici, nous passons du bouddhisme à l'Islam en nous rapprochant du Cachemire. Les visages mongoloïdes-tibétains laissent place aux indo-aryens, et les monastères sont remplacés par des mosquées.
De Kargil, nous nous aventurons dans la vallée du Zanskar, une des trois vallées fondatrices de la culture Ladakhi. En allant vers le Ladakh ouest nous croisions déjà presque plus de touristes, mais dans cette vallée cela atteint un sommet : seul un 4x4 croisera notre chemin. Par manque de temps et un glissement de terrain avant le glacier Drang-Drung, nous décidons de ne pas poursuivre jusqu'au fond de la vallée. En conduisant jusqu'à un village isolé à l'écart de tout, nous découvrirons des habitants terrorisés de voir des occidentaux. Même au fin fond du Cameroun, j'e n’ai pas souvenir d'avoir rencontré des gens dont l’existence est si fondamentalement différente de la nôtre, qui ignorent tout de notre civilisation, et n’avaient sans doute jamais ne serait-ce qu’entraperçu un smartphone.
Nous reprenons la route en direction de Srinagar, capitale du Nord Cachemire. Les paysages désertiques deviennent des vallées luxuriantes et les villages se font de plus en plus fréquents (mais toujours autant de militaires partout).
Nous traversons un dernier checkpoint Ladakhi et l’impressionnant col de Zoji La (3529m, photo en dessous), séparant le Ladakh du Cachemire. La piste en terre ne fait que 3 mètres de large avec un précipice de 1000m à notre gauche.
Quelques dizaines de km plus loin nous sommes bloqués avant d’arriver à Srinagar. En raison de manifestations pour l’indépendance qui ont un peu dégénéré, des touristes se sont fait caillasser. L’armé instaure finalement un couvre feu, et nous pouvons rentrer dans la ville. Elle est complètement déserte –ce qui contraste avec l’agitation habituelle des villes indiennes – et nous ne croisons que militaires et véhicules blindés. Sur chaque carrefour de Srinagar, un tank monte la garde.
Nous passerons deux nuits à dormir sur un House Boat, à sentir cette tension politique palpable. La journée nous visitons le lac et les divers temples, et discutons avec les deux parties, les militaires et les habitants du Cachemire. Les uns ne comprenant pas l’envie d’indépendance des locaux, les autres opposés à l’envahisseur indien.
Jusque là le réseau téléphonique était bloqué pour les forfaits prépayés dans le Ladakh, mais ici le gouvernement a décidé de couper également les forfaits mensuels et internet. On se croirait en pleine dictature militaire.
Le lendemain nous reprenons la route en direction du Sud du Cachemire. Après une nuit à Jammu – ville qui ressemble à ce que je m’imagine du Pakistan – quelques cols, des tunnels (ultra étonnant en Inde), et des heures sous la pluie à zigzaguer entre vaches et autres animaux de ferme, nous atteignons la frontière Cachemire-Himachal Pradesh. Étonnamment 200m plus loin, je me mets à capter du réseau 4G pour la première fois depuis Manali il y a 16 jours. Le cannabis pousse comme de la mauvaise herbe de chaque côté de la route, laissant les officiers du checkpoint insensibles.
Notre route nous mènera ensuite à Dharamsala (enfin plutôt McLeod Ganj), résidence du Dalaï-Lama perchée a 2000m dans les contreforts de l’Himalaya. De là, toujours sous la pluie nous rejoindrons Manali, rendrons les motos, et prendrons un bus bien mérité pour Delhi.
Prochain trip moto, traversée du Pakistan ?